Un clash avec Doris Leuthard
Quatre jours avant la fin de la COP21, Doris Leuthard – alors conseillère fédérale – avait annoncé que la Suisse rejoignait la «High Ambition Coalition» (la Coalition des pays à hautes ambitions climatiques, ndlr.), nouvellement constituée. C’est ce groupe de négociation – composé d’une soixantaine de pays – qui a plaidé pour inscrire la limite de 1,5°C dans l’accord de Paris.
J’en ai donc profité pour demander à notre conseillère fédérale si la Suisse était prête à aligner sa politique climatique à l’objectif du 1,5°C. «Ah», m’a-t-elle répondu, l’air surprise, avant de poursuivre: «Nous serions déjà contents d’être sur la bonne voie pour les 2°C! Ensuite, vous connaissez notre Parlement – tout avance très lentement. Et finalement, pensez-vous vraiment que les autres pays appliqueront un tel objectif?»
Désillusionné, j’écris dans un commentaire pour la Wochenzeitung que l’accord de Paris est certes un pas en avant, mais que les belles paroles et intentions ne suffiront pas à inverser le réchauffement climatique. Les sociétés civiles autour du monde avaient maintenant un rôle phare à jouer, en mettant la pression sur leurs gouvernements, pour s’assurer que les promesses conclues à Paris soient respectées. Je n’avais alors aucune idée qu’il s’agissait des prémisses de l’Initiative pour les glaciers, qui conduirait, sept ans plus tard, le gouvernement suisse à adopter une première loi sur le climat.
Troquer la plume pour la politique
Dans les semaines qui ont suivi la COP21, j’ai senti qu’après dix ans de journalisme sur le climat, écrire ce qu’il fallait faire ne suffisait plus. Les solutions existent; il faut à présent agir. Dans un blog pour Tamedia, j’ai suggéré qu’on oblige le gouvernement suisse à tenir sa promesse, en lançant une initiative populaire. J’avais conscience qu’un tel projet signait la fin de ma carrière de journaliste – mais l’enjeu me paraissait trop important.
Lancer une initiative populaire n’est pas une mince affaire, et je n’avais pas la moindre idée de comment m’y prendre. C’était peut-être pour le mieux: en connaissance de cause, je n’aurais probablement pas osé. De nombreux proches, actifs en politiques environnementales, m’ont conseillé de renoncer à ce dessein qui paraissait fou et qui se solderait certainement en échec.
Troquer la plume pour la politique
Mais l’idée ne m’a pas quitté, et a même commencé à convaincre. Vers la fin 2016, nous étions suffisamment nombreux – une dizaine – pour commencer à ébaucher le texte de l’initiative, lors de réunions informelles. Avec Heribert Rausch, spécialiste suisse du droit de l’environnement, nous avons baptisé le projet Initiative pour les glaciers. Celle-ci visait à inscrire dans la loi l’objectif d’atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici à 2050 et d’interdire les énergies fossiles. Après deux ans de travaux préparatoires, nous avons fondé l’Association suisse pour la protection du climat en 2018, et engagé Sophie Fürst – qui est encore notre secrétaire générale à ce jour. Nous étions à présent prêts pour la récolte des signatures.
Et le peuple était au rendez-vous: en 2019, alors que les jeunes faisaient grève pour le climat, nous avons récolté 113’000 signatures en cinq mois. L’initiative, déposée le 27 novembre 2019, était à présent entre les mains du Parlement, qui s’est montré réceptif au texte. Après le rejet de la Loi sur le CO2, ce projet était en quelque sorte la tentative de la dernière chance pour la politique climatique suisse.
Après une longue période de négociation, le gouvernement a finalement adopté un compromis – que nous estimons positif – le 30 septembre dernier. Il s’agit du contre-projet à l'initiative, intitulé «Loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique». Ce projet de loi reprend non seulement l’objectif d’inscrire le net-zéro d’ici 2050 dans la loi, mais il a aussi pour avantage de pouvoir entrer rapidement en vigueur. Nous avons donc décidé de retirer notre initiative en faveur du contre-projet. Sans surprise, le parti conservateur UDC a riposté en lançant un référendum. Ce sera certainement au peuple de trancher en juin.
La dernière ligne droite
Ce projet de loi est bien différent de la Loi sur le CO2. Il prévoit des mesures concrètes, comme des feuilles de route pour décarboner les entreprises, des subventions aux nouvelles technologies, ainsi que le remplacement des chauffages à énergies fossiles. Cette loi reflète un changement de paradigme: pendant longtemps, une taxe sur le CO2 était considérée comme l’unique levier d’action efficace.
Aujourd’hui, il est devenu clair que la transition écologique se fera en encourageant l’innovation et en mettant en place des structures pour que les citoyens puissent vivre de manière respectueuse de l’environnement.
A présent, le plus gros travail nous attend: que le texte soit approuvé par le peuple, malgré une féroce campagne de désinformation lancée par l’UDC dès le premier jour du référendum. Les processus politiques sont lents: sept ans après la COP21 à Paris, il n’existe toujours pas de loi en Suisse pour mettre en œuvre les objectifs de l’accord de Paris. En juin, cela pourrait changer. Le combat pour le climat se poursuit donc, à armes très inégales, face au plus grand parti de Suisse.
Les derniers mois de notre parcours ne seront pas une promenade de santé. Mais nous sommes prêt·e·s.