Même si notre analyse concorde avec celle des grévistes pour le climat, nous soutiendrons la loi sur le CO2 lors du référendum.
Notre position. L’Association suisse pour la protection du climat a déposé l’initiative pour les glaciers fin 2019 avec 113 000 signatures. Nous soutiendrons la loi sur le CO2 lors de la campagne de référendum, comme le font la plupart des organisations du mouvement climatique.
Néanmoins, notre analyse coïncide avec celle des grévistes du climat qui luttent aujourd’hui contre la loi: nous avons lancé l’initiative pour les glaciers parce que la loi sur le CO2 ne va pas assez loin, et plus encore parce que toute l’architecture des lois sur le CO2 est mauvaise. Depuis l’an 2000, les lois sur le CO2 ont fixé des objectifs d’émission pour une décennie à la fois. Elles sont conçues pour réduire les émissions de CO2, mais pas pour les éliminer entièrement.
Or, nous savons maintenant que nous devons atteindre la neutralité carbone. C’est quelque chose de différent et il faut donc un objectif zéro, comme l’exige l’initiative sur les glaciers.
Alors pourquoi s’engager pour une loi insuffisante? En bref: parce que l’alternative serait encore pire. A savoir, des années de blocage de la politique climatique. La loi introduit également de nouveaux instruments tels que la taxe sur les billets d'avion ou le fonds pour le climat. Il se peut que ces mesures soient insuffisantes – mais à ce jour, elles n'existent même pas!
Dans les faits, il est complexe de détailler ce qui est suffisant et ce qui est insuffisant. L’initiative pour les glaciers fixe comme année cible pour l’objectif de neutralité carbone «au plus tard 2050», et le Conseil fédéral a aussi adopté cet objectif, même s’il ne veut pas en tirer la conclusion logique et interdire les combustibles fossiles. Est-ce suffisant? La grève du climat exige la neutralité carbone d’ici 2030, Extinction Rebellion d’ici 2025.
Une trajectoire de réduction au moins linéaire. 2050 serait trop tard pour respecter les obligations de l’Accord de Paris sur le climat de 2015, en tout cas si les émissions devaient diminuer de manière linéaire d’ici là – c’est-à-dire de la même quantité chaque année. C’est pourquoi l’initiative pour les glaciers préconise une «trajectoire de réduction au moins linéaire». Ce que cela signifie exactement devra être interprété en fonction du cadre légal et de nos connaissances. Mais même avec une interprétation ambitieuse, l’initiative sur les glaciers sera insuffisante si rien n’est fait avant son entrée en vigueur.
Trop peu, trop tard. En tout cas, tout ce que nous faisons aujourd’hui est insuffisant et trop tardif par rapport à un accord plus ancien encore: la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992, qui a fixé comme objectif de prévenir «les perturbations anthropiques dangereuses du système climatique». Il établit également le principe important des «responsabilités communes mais différenciées» des différents pays.
On ne saurait parler de politique climatique sans examiner la crise climatique. Si nous regardons les feux de forêt en Californie, d’une ampleur encore inimaginable il y a peu, l’Amazonie sur le point de s’effondrer en tant qu’écosystème, ou encore les pentes des hautes montagnes qui deviennent instables à cause de la fonte du pergélisol, alors il devient clair que la «perturbation du système climatique» est déjà dangereuse. Ce qui se passe en Californie, en Amazonie, ou dans de nombreux endroits invisibles des caméras de télévisions, ce sont déjà des catastrophes climatiques. Pour les éviter, même un objectif de neutralité carbone en 2020 arriverait trop tard.
La crise climatique n’est pas un «problème» qui peut être «résolu». Le terme «crise» n’est pas tout à fait exact non plus. Ce que nous vivons est une nouvelle ère: l’anthropocène. Ce phénomène ne peut être inversé. L’accord de Paris est arrivé trop tard pour cela, l’initiative sur les glaciers arrive trop tard, et la loi sur le CO2 aussi. Aujourd’hui, cependant, nous pouvons et devons faire tout notre possible pour que les conditions environnementales de l’anthropocène restent aussi proches que possible de celles de l’holocène – l’ère où s’est jouée l'histoire des civilisations humaines.
Il n’est jamais trop tard pour éviter le pire. Et, soit dit en passant, il n’est jamais trop tard pour imaginer un monde meilleur: un monde dans lequel aucun régime autoritaire ne resterait au pouvoir grâce au pétrole; un monde dans lequel l’air ne serait pas pollué par les gaz d’échappement, et où les routes ne sont pas encombrées par les voitures.
En matière de politique climatique, il ne peut y avoir de compromis sur un point: les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine doivent être réduites à zéro, sinon le climat continuera à se réchauffer. Quand cet objectif doit être atteint? L’année cible idéale est révolue depuis longtemps. Le plus tôt sera le mieux.
La loi sur le CO2, même insuffisante, fait un pas dans la direction nécessaire. Ce pas est trop petit, mais si on le refuse parce que on préférerait faire un pas plus grand, on arrête complètement d’avancer. Or, c’est une course de vitesse. Après ce premier pas, nous devrons enchaîner de nouvelles foulées le plus vite possible.